41

 

Le lendemain matin, Bosch et sa fille se mirent en devoir d'installer certains des achats de la veille. Maddie n'était toujours pas à l'école, son inscription demandant une journée de plus pour franchir tous les obstacles de la bureaucratie scolaire - et ce délai, Bosch l'appréciait beaucoup car il lui permettait de passer plus de temps avec elle.

Premiers sur la liste d'assemblage, le fauteuil et le bureau d'ordinateur dont ils avaient fait l'acquisition au magasin Ikea de Burbank. Fournitures scolaires, vêtements, appareils électroniques et mobilier, ils avaient passé quatre heures à tout acheter et entasser dans la voiture de Bosch, celui-ci éprouvant un sentiment de culpabilité qu'il ne connaissait pas encore. Il savait qu'acheter tout ce qu'elle lui demandait ou montrait du doigt était une façon d'essayer d'acheter le bonheur de sa fille... et le pardon qui l'accompagnerait, du moins l'espérait-il.

Il avait poussé la table basse dans un coin et étalé toutes les pièces du bureau préfabriqué sur le plancher de la salle à manger. D'après le mode d'emploi, l'affaire pouvait être montée à l'aide d'un seul outil - une clé Allen livrée avec l'ensemble. Assis par terre en tailleur, Harry et Madeline tentaient de comprendre les schémas.

- On dirait qu'il faut commencer par attacher les panneaux latéraux au plateau, lança Madeline.

- Tu es sûre ?

- Oui, regarde : tout ce qui est marqué « 1 » fait partie de la première étape.

- Je croyais que ça indiquait seulement qu'on n'a qu'un élément de chaque partie.

- Non, il y a deux panneaux latéraux et tous les deux sont marqués « 1 ». Pour moi, ça doit vouloir dire première étape. - Ah.

Un portable se mettant à sonner, ils se regardèrent. Madeline s'en était acheté un la veille et encore une fois l'appareil était en tous points semblable à celui de son père. L'ennui était qu'elle n'avait pas choisi une sonnerie propre et que les deux appareils avaient la même. Toute la matinée durant, elle avait reçu des appels de ses amis de Hong Kong auxquels elle avait envoyé des textos pour leur dire qu'elle avait déménagé à Los Angeles.

- Je crois que c'est ton portable. J'ai laissé le mien dans ma chambre.

Bosch se mit lentement debout, ses genoux lui faisant mal d'être restés si longtemps croisés. Il gagna la table de la salle à manger juste à temps pour décrocher avant que son correspondant ne raccroche.

- Harry, c'est le Dr Hinojos. Comment allez-vous ?

- On fait avec. Merci de m'avoir rappelé.

Il ouvrit la porte coulissante, passa sur la terrasse et referma derrière lui.

- Désolé de ne pas vous avoir rappelé avant aujourd'hui, reprit Hinojos. Le lundi est toujours horrible ici. Quoi de neuf?

Hinojos dirigeait la section des sciences du comportement de la police, à savoir l'unité qui offrait de l'aide psychologique aux policiers de base. Bosch la connaissait depuis presque quinze ans, surtout depuis que, psychologue en première ligne, elle avait été chargée de l'évaluer après qu'il avait agressé physiquement son supérieur à la division de Hollywood.

Bosch baissa la voix.

- Je voulais vous demander si vous pourriez me rendre un service.

- Ça dépendra du service.

- J'aimerais que vous ayez un entretien avec ma fille.

- Avec votre fille ? La dernière fois que vous m'avez parlé d'elle, elle vivait à Las Vegas avec sa mère.

- Après, elles ont déménagé. Ça faisait six ans qu'elles habitaient à Hong Kong. Maintenant Madeline est avec moi. Sa mère est morte.

Hinojos marqua une pause avant de répondre. Bosch entendit un signal d'appel dans son oreille, mais l'ignora et attendit la réaction de Hinojos.

- Harry, vous savez qu'ici on ne voit que des policiers, pas leurs familles. Je peux vous indiquer quelqu'un qui travaille avec les enfants.

- Je ne veux pas de psy pour enfants. Si j'en voulais un, j'ai les Pages jaunes sous les yeux. C'est là que ça devient un service. J'aimerais qu'elle vous parle. Vous me connaissez, je vous connais, voilà, comme ça.

- Mais Harry, ça ne marche pas comme ça ici.

- Elle a été enlevée là-bas, à Hong Kong. Et sa mère a trouvé la mort en essayant de la sauver. Ça lui fait un sacré dossier, docteur.

- Ah, mon Dieu ! Et ça remonte à quand ?

- Au week-end dernier.

- Oh, Harry!

- Ouais, c'est pas bon. Elle a besoin de parler à quelqu'un d'autre que moi. Et j'aimerais que ce soit vous, docteur.

Deuxième pause. Bosch la laissa se prolonger. Il n'y avait pas grand sens à pousser Hinojos. Il le savait d'expérience.

- Bon, je pourrais peut-être la voir en dehors du service. A-t-elle demandé à parler avec quelqu'un ?

- Non, elle ne l'a pas demandé, mais je lui ai dit que moi, je voulais qu'elle le fasse et elle n'a pas dit non. Je crois que vous lui plairez bien. Quand pourriez-vous la voir ?

Il poussait un peu et il le savait. Mais c'était pour la bonne cause.

- C'est-à-dire que... j'ai un peu de temps libre aujourd'hui. Je pourrais la voir après le déjeuner. Comment s'appelle-t-elle ?

- Madeline. À quelle heure ?

- A une heure, c'est possible ?

- Absolument. Vous voulez que je vous l'amène ou ça risque de poser un problème ?

- Ça devrait aller. Je ne la déclarerai pas en consultation officielle.

Le portable de Bosch sonna à nouveau. Cette fois il l'écarta de son oreille pour vérifier l'identité du correspondant. C'était Gandle.

- D'accord, docteur, dit-il. Un grand merci.

- Ça me fera plaisir de vous revoir. Peut-être même qu'on pourrait avoir un petit entretien tous les deux. Je sais que votre ex comptait encore beaucoup pour vous.

- Commençons par nous occuper de ma fille. On pourra s'inquiéter pour moi après. Je vous la déposerai et je filerai. Je passerai peut-être chez Philippe.

- A tout à l'heure, Harry.

Il raccrocha et regarda si Gandle avait laissé un message. Il n'y en avait pas. Il rentra dans la maison et vit que sa fille avait assemblé l'essentiel du bureau.

- Eh bien, dis donc, on dirait que tu sais ce que tu fais !

- C'est vraiment pas difficile. - Ça n'en a pas l'air.

Il s'était assis à nouveau par terre lorsque le fixe se mit à sonner dans la cuisine. Il se releva et se dépêcha d'aller décrocher. C'était un vieil appareil mural sans écran d'identification.

- Bosch, que faites-vous ? C'était le lieutenant Gandle.

- Je vous avais dit que je prendrais quelques jours.

- Je sais. Mais j'ai besoin que vous passiez ici... Et amenez votre fille. Bosch contemplait l'évier vide.

- Ma fille ? Pourquoi, lieutenant ?

- Parce qu'il y a deux mecs de la police de Hong Kong dans le bureau du capitaine Dodds et qu'ils veulent vous parler. Vous ne m'avez pas dit que votre ex était morte, Harry. Vous ne m'avez rien dit de tous les cadavres que, selon eux, vous auriez laissés dans votre sillage.

Bosch marqua une pause pour réfléchir à la situation.

- Dites-leur que je les verrai à une heure et demie, répondit-il enfin.

La réaction de Gandle fut abrupte.

- Une heure et demie ? répéta-t-il. Pourquoi vous faut-il trois heures pour venir ? Descendez ici tout de suite.

- Je ne peux pas. Je les verrai à une heure et demie.

Il raccrocha le fixe et sortit son portable de sa poche. Il savait bien que les flics de Hong Kong finiraient par débarquer et avait déjà élaboré un plan d'action.

Le premier appel qu'il passa fut pour Sun Yee. Il savait qu'il était tard à Hong Kong, mais il ne pouvait pas attendre. Le téléphone sonna huit fois, puis il eut droit à la boîte vocale.

- C'est moi, Bosch, dit-il. Rappelez-moi dès que vous aurez ce message.

Il raccrocha et regarda fixement son portable pendant un bon moment. Il était inquiet. Il était une heure et demie du matin à Hong Kong, et on pouvait s'attendre à ce que Sun Yee ne soit pas loin de son téléphone. À moins que ce ne soit pas par choix délibéré.

Il fit défiler sa liste de contacts et trouva un numéro qu'il n'avait pas appelé depuis au moins un an. Il le composa et cette fois la réponse fut immédiate :

- Mickey Haller.

- C'est Bosch.

- Harry? Je ne croyais pas...

- Je pense avoir besoin d'un avocat. Il y eut une pause.

- D'accord. Quand ça ?

- Tout de suite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les neuf dragons
titlepage.xhtml
Michael Connell1_split_000.htm
Michael Connell1_split_001.htm
Michael Connell1_split_002.htm
Michael Connell1_split_003.htm
Michael Connell1_split_004.htm
Michael Connell1_split_005.htm
Michael Connell1_split_006.htm
Michael Connell1_split_007.htm
Michael Connell1_split_008.htm
Michael Connell1_split_009.htm
Michael Connell1_split_010.htm
Michael Connell1_split_011.htm
Michael Connell1_split_012.htm
Michael Connell1_split_013.htm
Michael Connell1_split_014.htm
Michael Connell1_split_015.htm
Michael Connell1_split_016.htm
Michael Connell1_split_017.htm
Michael Connell1_split_018.htm
Michael Connell1_split_019.htm
Michael Connell1_split_020.htm
Michael Connell1_split_021.htm
Michael Connell1_split_022.htm
Michael Connell1_split_023.htm
Michael Connell1_split_024.htm
Michael Connell1_split_025.htm
Michael Connell1_split_026.htm
Michael Connell1_split_027.htm
Michael Connell1_split_028.htm
Michael Connell1_split_029.htm
Michael Connell1_split_030.htm
Michael Connell1_split_031.htm
Michael Connell1_split_032.htm
Michael Connell1_split_033.htm
Michael Connell1_split_034.htm
Michael Connell1_split_035.htm
Michael Connell1_split_036.htm
Michael Connell1_split_037.htm
Michael Connell1_split_038.htm
Michael Connell1_split_039.htm
Michael Connell1_split_040.htm
Michael Connell1_split_041.htm
Michael Connell1_split_042.htm
Michael Connell1_split_043.htm
Michael Connell1_split_044.htm
Michael Connell1_split_045.htm
Michael Connell1_split_046.htm
Michael Connell1_split_047.htm